Il est vrai que le secteur de l’immobilier est un terrain fertile au blanchiment.
La qualification infractionnelle du blanchiment est prévue aux dispositions de l’article 324-1 du Code pénal.
Cette infraction pénale, dites de conséquence a gagné son autonomie très rapidement.
Comme l’a justement et brillement rappelé Nicolas BARRET, magistrat et chef de section J2 de la JUNALCO, lors du colloque organisé par la Cour de Cassation, le vendredi 15 mars 2024, la réalité du terrain prouve qu’il n’y a que très peu de dossier où le blanchisseur n’est pas l’auteur du délit sous-jacent.
Moins d’une centaine par an alors que l’auto blanchiment est la manœuvre frauduleuse que rencontre le plus fréquemment les tribunaux correctionnels.
Environ 1700 dossiers par an.
C’est ainsi que l’auteur de l’infraction initiale utilise le produit de l’infraction pour le réinjecter dans le circuit propre.
C’est ce qu’on appelle La blanchisserie. L’objectif du criminel étant de laver l’argent sale.
A la lecture de l’article 324-1 du CP, nous pouvons constater qu’il existe deux variantes du blanchiment :
Première variante, par le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
La seconde variante par le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
L’accusation de blanchiment prévue par les dispositions de l’article 324-1 du CP n’est pas une mince affaire pour l’autorité de poursuite et les juridictions de jugement.
Première contrainte, celle juridique, qui est double et cumulative:
-Apporter la preuve de l’existence d’une infraction d’origine.
-Caractériser l’élément moral du blanchisseur par sa connaissance du caractère illicite de l’origine des avoirs.
Caractériser l’élément moral du blanchisseur, qui relève de l’appréciation souveraine du juge répressif, ne pose pas de réelle difficulté pratique dès lors que la grande majorité des affaires portent sur de l’auto blanchiment.
En revanche, la preuve de l’existence d’une infraction d’origine est plus compliquer à prouver.
En dehors des affaires simples portant sur des personnes transportant de l’argent sur eux dont l’origine est illicite, les organes répressifs et de contrôles sont confrontés à des mécanismes frauduleux extrêmement complexes.
Monsieur Alban GENAIS, Directeur par intérim de TRACFIN, nous faisait des aveux lors du colloque du 15 mars 2024.
Il nous disait que pour les affaires les plus importantes, le blanchisseur ne connait pas l’auteur de l’infraction initiale.
Et pour les affaires les plus complexes, il n’est pas possible de retracer tous les flux, souvent internationaux et donc de pouvoir connaitre le véritable auteur du délit sous-jacent.
Le blanchisseur devient donc un simple pion piloté par des criminels basés à l’étranger qui eux même sont pilotés par d’autres criminels pilotés depuis encore un autre pays.
Il faut l’avouer, la preuve de l’infraction d’origine aux fins d’accuser un blanchisseur peut être un exercice complexe voire impossible dans certains cas.
C’est dans ce contexte qu’est né la loi du 6 décembre 2013[1] portant sur la notion de présomption de blanchiment.
Codifié à l’article 324-1-1 du Code pénal, la charge de la preuve du blanchiment est dès lors inversée.
Cet article facilite la preuve pour l’autorité de poursuite et les juridictions de jugement en énonçant une présomption d’origine illicite de l’objet du blanchiment.
Vient donc la question de son champ d’application qui divise encore la doctrine.
Certains voient l’application de l’article 324-1-1 du Code pénal uniquement pour la seconde forme du blanchiment alors que d’autres entendent la voir appliquer aux deux variantes du blanchiment visée par l’article 324-1 du Code pénal.
Quoi qu’il en soit, c’est désormais au prévenu de s’expliquer sur l’infraction initiale qu’il n’aurait pas commise ou pire, qu’il dit ignorer.
Difficile exercice pour la défense ? Prouver ce qui n’existe pas ?
La notion de preuve contraire étant admise, l’article 324-1-1 du code pénal répond aux exigences conventionnelles et constitutionnelles. La Cour de justice de l’UE l’a déjà consacrée en son principe.
Irréfragabilité de la preuve amène le prévenu à devoir expliquer sa richesse acquise par la voie économique ou patrimoniale.
Certains évoquerons le gain au jeu mais je doute fortement que cela suffise pour emporter la conviction du juge répressif.
Le juge pénal étant le garant d’un bon fonctionnement du procès vérifie que le prévenu a pu apporter la preuve contraire à cette présomption simple de blanchiment par des éléments probants et cohérents.
Les praticiens lèvent les yeux au ciel en se rappelant que leur dernier dossier n’a pas emporter la conviction du juge pénal.
Je les comprends et je lève moi aussi les yeux au ciel quand je pense à mon dernier client, ayant fait sa fortune à l’étranger, dans un pays en voie de développement, qui m’a semblé avoir déjà été condamné avant même qu’il expose la preuve contraire faisant obstacle à cette présomption de blanchiment.
Ce même homme qui a vu son patrimoine confisqué, dès le début de l’enquête, sur de simples présomptions de blanchiment.
Comme je le soulignais au début de mon intervention, l’immobilier est un terrain fertile pour placer son argent sale.
Schématiquement, le blanchiment dans l’immobilier peut se matérialiser de deux manières.
Soit, nous sommes en présence d’un blanchisseur qui a brillement maquillé sa demande de prêt bancaire par de faux documents (faux contrats de travail, faux relevés bancaires) et qui entend rembourser la banque par de l’argent sale.
Puis, cette personne prétextera à son créancier qu’il a été muté à l’étranger et justifiera ainsi les flux internationaux permettant de rembourser le prêt bancaire par de l’argent sale.
Soit, nous sommes en présence d’un blanchisseur qui n’entend pas faire de prêt bancaire, disposant d’un capital important pour acquérir un bien immobilier mais qui au regard d’un faisceau d’indice représente une véritable menace.
Je traiterai dans le cadre de mon intervention uniquement de ce second profil de blanchisseur.
Pour lutter efficacement contre ce type de criminel, des mesures préventives ont été adoptées faisant reposer sur les professionnels de l’immobilier de lourdes obligations.
Codifiées à l’article L. 561-2 du COMOFI, sont soumis aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les professionnels de l’immobilier, personnes physiques ou morales, qui se livrent à des opérations immobilières sur bien d’autrui tels que l’achat, la vente, la recherche, l'échange, la location ou la sous-location, saisonnière ou non, en nu ou en meublé, d’immeubles bâtis ou non bâtis,
A ces opérations, viennent s’ajouter d’autres opérations telles que l'achat ou la vente d'actions ou encore la location-gérance de fonds de commerce.
En pratique, le strict respect des obligations en matière de lutte contre le blanchiment par les professionnels de l’immobilier suscite encore de nombreuses difficultés qui pourraient s’expliquer par plusieurs raisons telles qu’:
-Un nombre important d’obligations à respecter,
-Une difficulté de les mettre en place dans des petites structures,
-Ou encore, un manque de formation et de connaissance des professionnels de l’immobilier.
Les manquements en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux sont sanctionnés par la Commission des sanctions (CNS), autorité administrative indépendante, régie par les dispositions des articles L.561-38 et suivants du COMOFI.
Son activité en constante augmentation[2], la Commission des sanctions (CNS) est principalement[3] saisie par le ministre de l’économie à la suite d’un rapport établi exclusivement à charge par les agents de la DGCCRF[4]
A la lecture du dernier rapport d’activité de la Commission des sanctions (CNS) de 2022, il apparait que le professionnel de l’immobilier se voit principalement sanctionner suite au non-respect de 4 obligations.
Les trois premiers manquements les plus sanctionnés (en nombre) par la Commission des sanctions (CNS) peuvent être rangés dans la case des contrôles obligatoires que doivent effectuer les professionnels de l’immobilier.
Le 4ème manquement porte sur une double obligation de formation : Celle de se former soi-même et celle de former ses collaborateurs.
Nous allons regarder de plus près ces principaux manquements qui contrarient les organes de contrôles et répressifs.
De manière assez étonnante, l’obligation la plus sanctionnée par la Commission des sanctions (CNS), est celle d’identifier et de vérifier l’identité des clients et des bénéficiaires effectifs, dispositif prévu à l’article L.561-5 du COMOFI.
Ceci est étonnant car le professionnel de l’immobilier a pour réflexe, de longue date, de demander la pièce d’identité de son mandant et ce, dès la mise en relation permettant ainsi de répondre à son obligation d’identification et de contrôle de l’identité de son client.
Dans les faits, la Commission des sanctions (CNS) sanctionne régulièrement ce manquement car le professionnel de l’immobilier omet d’identifier et de contrôler l’identité du tiers au mandat initial, généralement l’acquéreur du bien immobilier.
Mon expérience m’a amené à constater que le professionnel de l’immobilier est encore moins à l’aise quand il s’agit de contrôler l’identité d’une personne morale. Outre la demande d’un KBIS, le professionnel de l’immobilier omet l’obligation prévue à l’article L.561-2-2 du COMOFI qui consiste à identifier les bénéficiaires effectifs.
Le professionnel de l’immobilier fautif ne pourra prétexter devant la CNS qu’il s’agissait d’un partenaire professionnel proche ou encore d’un parent.
Le second manquement le plus sanctionné par la Commission des sanctions (CNS) est l’obligation de définir et de mettre en place des dispositifs d’identification et d’évaluation des risques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux visé aux articles L.561-4-1 et L.561-32 du COMOFI.
Le professionnel de l’immobilier à l’obligation de se doter d’un « process interne » de contrôle, formalisé par écrit[5] et personnalisé en fonction de son lieu d’exercice, de la taille de sa structure et de ses activités, de la typologie et de l’origine de sa clientèle.
Il s’agit ici d’identifier les risques de blanchiment afin d’établir une véritable cartographie des risques, fonctionnelle[6] et adaptée à son activité[7].
Cet outil sert à la fois de grille de lecture pour appréhender le risque à chaque relation commerciale et de prise de décision en fonction d’un « scoring » préalablement déterminé.
Le troisième manquement le plus régulièrement sanctionné par la Commission des sanctions (CNS) correspond à l’obligation de recueillir des informations relatives à l’objet et à la nature de la relation d’affaires et d’exercer une vigilance constante visé par les articles L.561-5-1 et L.561-6 du COMOFI.
Le professionnel de l’immobilier doit donc avoir une démarche proactive en recueillant lui-même[8] des informations suffisantes[9] sur l’origine des fonds et sur la composition du patrimoine du cédant et du cessionnaire.
Demandes intrusives, le strict respect de cette obligation se heurte en pratique à une opposition farouche de la part du cessionnaire.
4ème et dernier manquement les plus significatifs, le professionnel de l’immobilier se voit contraint par l’article L. 561- 34 du COMOFI à une obligation d’information régulière du personnel et de mise en place de toutes actions de formation utiles.
Pour rappel, l’obligation de formation du personnel s’applique aux salariés d’une société mais également à toutes les personnes concourant à son activité, y compris ses dirigeants[10].
Il en va de même pour les personnes exerçant en tant qu’agent commercial dans le secteur de l’intermédiation immobilière[11].
Comme le préconise justement la Commission nationale des sanctions (CNS) dans son dernier rapport d’activité, la délivrance et le renouvellement des cartes professionnelles devraient être conditionnées à une obligation de formation préalable en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux.
Les manquements des professionnels de l’immobilier sont sanctionnés par la Commission nationale des sanctions (CNS)
Les sanctions prévues à l’article L.561-40 du COMOFI vont du simple avertissement au retrait de l’agrément ou de la carte professionnelle.
La commission prononce également des sanctions pécuniaires dont le montant ne peut être supérieur à cinq millions d'euros ou, lorsque l'avantage retiré du manquement peut être déterminé, au double de ce dernier.
L’exigence de proportionnalité de la sanction prononcée par la Commission nationale des sanctions (CNS) impose que cette dernière tienne compte de l’assise financière de la société et des revenus de son dirigeant[12].
Enfin, la Commission nationale des sanctions (CNS) peut décider de faire publier, aux frais de la personne sanctionnée, les sanctions qu’elle inflige[13].
De manière quasi-systématique, la Commission nationale des sanctions (CNS) prononce une publication des sanctions en cachant le nom des personnes sanctionnées dérogeant, pour le moment, au principe d’une publication nominative.
Pour conclure mon intervention, je rappellerai que la lutte contre le blanchiment des capitaux est un enjeu majeur pour la France mais aussi pour l’économie mondiale.
De toute évidence, les obligations qui incombent aux professionnels de l’immobilier sont encore trop méconnues raison pour laquelle certaines d’entre elles ne sont pas appliquées.
Les pouvoirs publics doivent intervenir de toute urgence par la pédagogie et la formation et non par la sanction comme c’est le cas actuellement.
[1] loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013[2] De 2014 à 2021, la Commission nationale des sanctions (CNS) a été saisie de 324 trois affaires portant sur des professionnels des secteurs de l’intermédiation immobilière et de la domiciliation.[3] La Commission nationale des sanctions (CNS) pourrait également être saisie d’un dossier d’un professionnel de l’immobilier par le ministre de l’intérieur.[4] Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).[5] Décisions CNS n° 2016-15 du 14 février 2018, n° 2017-25 du 25 avril 2018, n° 2019-26 du 19 mars 2021 et n° 2019-70 du 12 novembre 2021.[6] Rapport d’activité 2021 de la Commission des sanctions (CNS), page 28.[7] Décisions CNS n° 2015-15 du 21 mars 2016 ; n° 2015-16 du 12 avril 2016 ; n° 2017-06 du 23 août 2017 ; n° 2017-01 du 30 août 2017 ; n° 2016-16 du 25 octobre 2017 ; n° 2017-25 du 25 avril 2018 ; n° 2017-30 du 23 mai 2018, n° 2017-10 du 5 septembre 2018 et n° 2019-61 du 30 décembre 2020. [8] Décision CNS n° 2014-06 du 4 mars 2015.[9] Décision CNS n° 2015-15 du 21 mars 2016.[10] Décisions CNS n° 2015-07 du 16 septembre 2015 ; n° 2015-23 du 24 février 2016, n° 2017-12 du 19 septembre 2018 et n° 2018-35 du 11 mai 2020.[11] Décision CNS n° 2016-09 du 14 juin 2017.[12] Décisions n° 2017-15 du 7 février 2018 ; n° 2017-30 du 23 mai 2018 et n° 2017-10 du 5 septembre 2018). [13] Article L.561-40 du Code monétaire et financier..