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19.12.2023 - La visite domiciliaire a-t-elle encore un avenir dans les procédures pénales fiscales ?

En pratique, la visite domiciliaire et la perquisition pénale ne sont pas des procédures concurrentes.

En théorie, il est toutefois à souligner que ces deux moyens d’enquêtes et d’investigations d’exceptions reposent sur un objectif commun qui est celui d’obtenir des éléments matériels de preuve aux fins de prouver un délit de fraude fiscale pour les cas les plus graves.

Pour les besoins de l’exercice, je nuancerai donc ma position quant à l’avenir de la visite domiciliaire visées à l’article L16 B du LPF en tenant compte d’une part, du transfert de compétence à l’autorité pénale de l’opportunité des poursuites du délit de fraude fiscale et d’autre part, des enjeux économiques colossaux pour l’État Français.

Vous m’accorderez qu’il n’est plus rare de voir des positions établies en matière de procédure fiscale voler en éclat.

L’implosion du verrou de Bercy par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude[1] en est le parfait témoin.

La pénalisation de la matière fiscale a poussé le législateur à rendre obsolète la Commission des infraction fiscale (CIF) en confiant au parquet le pouvoir d’instruire (ou pas) des poursuites pour le délit de fraude fiscale.

Délibérément, il a été créé une sorte d’obsolescence programmée de la CIF…une mort à petit feu…

Pour rappel, la CIF traitait environ 1000 dossiers annuellement avant le verrou de Bercy et aujourd’hui environ 250 dossiers.

Et pourtant la CIF n’était pas une commission dépourvue d’intérêt et de savoir…

Bien au contraire, son expérience pratique du litige fiscal et sa pleine maitrise de la matière, lui conférait un pouvoir souverain et légitime quant à la sélection des dossiers les plus graves en matière de fraude fiscale.

Les cas les plus graves…..nous y voilà encore !

Argument phare dans la défense d’un dossier en droit pénale fiscal, le juge répressif se doit obligatoirement de contrôler qu’il s’agit bien d’un des cas graves de fraude fiscale et ce, conformément à la 3ème réserve d’interprétation du conseil constitutionnel à propos de la règle du non bis in idem.

Force est de constater que l’autorité répressive s’est vue confiée des prérogatives qui appartenaient jadis à l’administration fiscale.

Pourquoi ne pas imaginer alors que la perquisition pénale ne vienne évincer la visite domiciliaire pour les cas les plus graves de fraude fiscale ?

Par l’institution de critères légaux de dénonciation obligatoire en référence à des seuils de droits éludés et à des pénalités encourue [2], le législateur a entendu continuer de réserver l’intervention de la justice pénale aux cas de fraudes les plus significatifs.

Dans ce prolongement, le législateur pourrait aussi confier à l’autorité répressive, pour les cas les plus graves, d’être la seule et unique garante de l’enquête visant le délit de fraude fiscale.

L’autorité pénale n’apparaitrait plus seulement lors de la dénonciation obligatoire mais dès le stade de l’enquête aux fins d’assurer des saisies et des confiscations de nature pénale.

Comme l’ont souligné Messieurs S. DETRAZ et R. SALOMON[3], « aucune disposition spéciale ne prévoit une peine de confiscation aux délits des articles 1741et 1743 du Code général des impôts. Cependant, la peine de confiscation est également encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an, ce qui est le cas du délit de fraude fiscale.

La pratique sur le sujet est très claire telle en témoigne la Circulaire du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la fraude fiscale qui encourage fermement et de manière quasi-systématique les procureurs à avoir recours aux saisies et aux confiscations de nature pénale, dès le stade de l’enquête, venant ainsi garantir le paiement, en valeur, des droits éludés par le présumé fraudeur fiscal.

Le débat se veut juridique mais l’enjeux est en réalité financier. Ne l’oublions pas !

Pour rappel en 2022, rien que sur la dénonciation automatique représentant seulement 1373 dossiers, 659 Millions d’euros de droits ont été rappelés.

Les enjeux financiers et la concomitance des opérations d’enquête et de saisies m’amène à penser que dans un avenir proche, les mesures d’enquêtes et d’investigation visant à rechercher des preuves d’un délit de fraude fiscale, pour les cas les plus graves, seront toutes de nature pénale.

La visite domiciliaire ayant perdu de son intérêt et de sa splendeur, sera reléguée aux dossiers dont les enjeux paraissent, dès les premiers soupçons, comme non significatifs alors que l’essence même de cette procédure d’exception est de traiter les cas les plus graves.

L’autorité répressive s’emparerait alors de toute la chaine procédurale d’un dossier pénal fiscal à fort enjeux financier, de la phase d’enquête à la condamnation du fraudeur fiscal en passant par la saisie de ses actifs.

Exception faite du calcul de l’impôt éludé revenant toujours à l’administration fiscale …pour le moment.

 

[1] Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude

[2] L 228 LPF

[3] Précis de droit pénal fiscal, Ed. LEXISNEXIS, S. DETRAZ, R. SALOMON, page 288 § 803, ISBN : 978-2-7110-3197-9

[4] Cass. crim., 11 sept. 2019, n°18.81-040. - « s’agissant du produit direct ou indirect du délit de fraude fiscale, le montant de l’impôt éludé́ et non celui de l’ensemble des sommes dissimulées »