26.06.2025 - Garanties des contribuables - Poursuites fiscales consécutives à une condamnation pénale : quand le dossier du juge pénal nourrit celui du juge de l’impôt, quelle défense pour le contribuable ? - Commentaire avec conclusions du rapporteur public par Éric Russo et Mehdi-Emmanuel Jouini, Droit fiscal n° 26, 26 juin 2025, comm. 240
Solution. – Dans le cadre de poursuites fiscales et pénales exercées contre le même contribuable, le Conseil d’État impose une lecture littérale de l’article L. 188 C du LPF, dont il retire que tous les éléments du dossier pénal peuvent servir à fonder une extension du droit de reprise de l’administration fiscale, y compris ceux qui n’ont pas été retenus pour fonder la poursuite pénale. Il confirme par ailleurs que la réserve constitutionnelle sur le cumul des peines fiscales et pénales ne joue pas lorsque le contribuable a été condamné pénalement dans le cadre d’un cumul d’infractions. Enfin, s’agissant de l’obligation d’information et de communication résultant de l’article L. 76 B du LPF, cet arrêt confirme que l’administration fiscale bénéficie d’une certaine tolérance en ce qui concerne son obligation d’informer le vérifié sur les pièces de la procédure pénale obtenues auprès de l’autorité judiciaire et complète son analyse sur la notion « d’accès direct aux documents ».
Impact. – Cette décision est l’occasion pour le Conseil d’État de préciser sa jurisprudence sur des questions qui reviennent régulièrement lorsque des poursuites fiscales et pénales exercées contre un même contribuable. Au-delà des solutions juridiques retenues, qui s’inscrivent dans le prolongement d’une jurisprudence qui tend à favoriser l’exercice de doubles poursuites fiscales et pénales, elle rappelle combien il est important que le contribuable qui fait l’objet de ces poursuites s’entoure de conseils fiscalistes et pénalistes qui sauront croiser leurs regards et identifier les risques juridiques liés à la porosité des deux procédures.
CE, 9e et 10e ch. réunies, 15 avr. 2025, n° 470382, concl. C. Guibé, note É. Russo et M.-E. Jouini
Note :
1 – La présente décision rendue par les 9e et 10e chambres du Conseil d’État concerne une personne physique ayant fait initialement l’objet de poursuites pénales au titre des infractions d’abus de biens sociaux, travail dissimulé, blanchiment de fraude fiscale et de travail dissimulé. Ensuite, l’intéressé faisait l’objet d’importantes rectifications en matière d’impôt sur le revenu sur la base d’informations obtenues par l’administration fiscale, dans le cadre de ses opérations de contrôle, auprès des autorités judiciaires.
À l’occasion du contentieux initié à la suite des rectifications dont il avait fait l’objet, le contribuable soulevait en effet plusieurs moyens destinés à contester, en particulier, la possibilité, pour l’administration fiscale, d’étendre le délai de reprise initiale, le montant des sanctions pécuniaires imposées au regard des amendes pénales auxquelles il avait déjà été condamné parallèlement, mais également critiquait le non-respect par l’administration fiscale des règles d’information et de communication destinées à assurer le caractère contradictoire de la procédure fiscale.
Cette décision donnait ainsi l’opportunité au Conseil d’État d’approfondir sa jurisprudence sur plusieurs questions qui resurgissent à intervalles réguliers dans le cadre de contentieux fiscaux initiés par des vérifiés ayant fait l’objet, parallèlement, de poursuites pénales.
S’agissant de la mise en œuvre par l’administration fiscale du délai spécial de reprise prévu par l’article L. 188 C du LPF, le contribuable contestait que cette dernière puisse, sans violer l’autorité de la chose jugée, s’appuyer sur des pièces du dossier pénal relatives à la période antérieure à 2007 qui n’avaient pas été retenus par le juge correctionnel pour fonder la condamnation pénale, laquelle portait sur la période du 2 avril 2007 au 1er janvier 2012. Le Conseil d’État balaie cet argument par une lecture littérale des dispositions du LPF, et reconnaît à l’administration fiscale le droit de s’appuyer sur tout élément ressortant du dossier pénal.
S’agissant du moyen soulevé par le requérant tendant à contester le montant des rectifications imposées au regard des principes plafonnant le cumul des sanctions pénales et fiscales, cette décision est l’occasion pour la Haute Juridiction d’approfondir encore sa lecture de la réserve émise par le Conseil constitutionnel. Cela dans l’hypothèse spécifique qui était celle de ce dossier, dans laquelle les poursuites pénales ne portaient pas stricto sensu sur une fraude fiscale mais sur un cumul d’autres infractions, dont le blanchiment de fraude fiscale, tandis que la majoration de 80 % appliquée par l’administration fiscale venait sanctionner les dissimulations attribuées au contribuable. Dans une telle situation, le Conseil d’État privilégie une approche pragmatique pour confirmer que la réserve d’interprétation ne s’applique pas.
Enfin, le Conseil d’État se prononce sur l’étendue de l’obligation d’information et de communication de l’administration fiscale au titre de l’article L. 76 B du LPF.
À la demande du vérifié, l’administration fiscale s’est trouvée dans l’obligation d'indiquer la teneur et l'origine des renseignements obtenus auprès des tiers et de lui communiquer les pièces de procédure pénale sur lesquels elle s'était fondée pour établir l'imposition. Bien que l’administration fiscale ait expressément indiqué qu’elle communiquerait lesdites pièces du dossier pénal, le vérifié n’en a jamais disposé avant la mise en recouvrement.
La cour d’appel de Nancy, saisie en dernier lieu du litige, avait toutefois confirmé les rectifications en écartant l’argumentation du vérifié consistant à invoquer la méconnaissance des dispositions de l’article L. 76 B du LPF. Elle est suivie dans son raisonnement par le Conseil d’État. Ainsi, la présente décision présente également un intérêt en matière de défense fiscale en ce qu’elle complète un courant jurisprudentiel établi venant limiter les garanties offertes aux contribuables rectifiés sur le fondement des renseignements et documents obtenus auprès des tiers.
2 – Aux termes de l’article L. 188 C du LPF : « Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une procédure judiciaire, par une procédure devant les juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos la procédure et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ».
Ce texte, qui établit un droit de reprise spécial prorogeant le délai de reprise initial, est l’un de ceux qui illustrent l’absence d’étanchéité des procédures fiscale et pénale. Il permet, en effet, à l’administration fiscale, par le jeu de l’exercice du droit de communication, d’étendre la période de reprise initiale sur la base des informations dont elle acquiert la connaissance à partir du dossier de l’enquête pénale.
C’est évidemment un pouvoir redoutable pour le contribuable, tant on sait que les moyens d’enquête qui sont susceptibles d’être déployés par le parquet ou le juge d’instruction peuvent s’avérer bien plus étendus et coercitifs que ceux dont l’administration fiscale dispose.
Il importe dès lors que les conditions d’exercice de ce droit de reprise spécial soient précisément réunies, ce que le juge de l’impôt s’attache à vérifier.
En l’espèce, la décision commentée présente l’intérêt d’établir, avec une certaine clarté, que cette extension du délai de reprise peut parfaitement être fondée sur tout élément ressortant du dossier pénal, quand bien même cet élément n’aurait pas spécifiquement servi de fondement aux poursuites pénales.
C’était d’ailleurs le cœur du moyen qui avait été soulevé par le requérant : ce dernier arguait en effet que l’Administration ne pouvait se fonder sur des faits antérieurs à l’année 2007, alors que la prévention au titre de laquelle il avait été renvoyé et condamné par le tribunal correctionnel visait la période postérieure du 2 avril 2007 au 1er janvier 2012.
En quelque sorte, il s’agissait ici, pour le contribuable, de soutenir que les faits qui n’avaient pas été établis par le juge pénal ne pouvaient pas davantage fonder les poursuites fiscales.
Suivant l’analyse du rapporteur, le Conseil d’État a toutefois rejeté cette lecture de l’article L. 188 C, dont il a privilégié une interprétation stricte. Ainsi, il a considéré que ces dispositions ne limitaient pas le champ des informations sur lesquelles l’administration fiscale pouvait se fonder aux seuls faits retenus dans les chefs de prévention pénale, mais comprenait l’ensemble des faits révélés par la procédure pénale. À ce titre, il a également considéré que l’administration fiscale n’avait pas méconnu l’étendue de la chose jugée par le juge pénal, et l’autorité qui s’y attache.
Il convient ici de préciser que cette interprétation fait suite à la modification de l’article L. 188 C, intervenue à l’occasion de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, qui a remplacé la notion d’« instance judiciaire » par celle de « procédure judiciaire » (L. fin. rect. 2015, n° 2015 -1786, 29 déc. 2015 : JO 30 déc. 2015). Cette réforme invitait le Conseil d’État à faire évoluer sa propre lecture du texte.
Une telle évolution n’est pas sans conséquence. En effet, le praticien des audiences pénales sait que l’audience, généralement et logiquement, se concentre sur les faits qui sont l’objet des poursuites. Ainsi, l’on peut aisément imaginer,au cas présent, qu’un temps limité, voire aucun temps du tout, n’aura été consacré au cours de l’enquête pénale, à débattre des faits antérieurs à 2007. Et pourtant, par le jeu de l’interprétation littérale de l’article L. 188 C, confirmée par le Conseil d’État, ces faits sont susceptibles d’accéder au rang de vérité judiciaire de sorte qu’ils peuvent ensuite être « recyclés » et servir de fondement à des poursuites élargies ratio temporis dans le cadre du contentieux fiscal.
Cette situation nouvelle invite indubitablement le conseil pénaliste à redoubler de vigilance dans sa lecture du dossier pénal. Même si le parquet choisit de réserver les poursuites à une partie des faits figurant au dossier pénal, faut-il négliger le cas échéant de contester les autres faits sans attendre qu’ils soient repris à son compte par l’administration fiscale ?
La solution retenue par le Conseil d’État, même si elle n’est pas réellement surprenante, conforte également notre conviction que le conseil fiscaliste et son confrère pénaliste doivent collaborer étroitement afin d’identifier ensemble, dans le dossier pénal, les faits susceptibles de fonder ultérieurement un droit de reprise élargi. Une simple lecture rapide des qualifications pénales retenues par le juge correctionnel ne suffit pas à écarter le risque. Il convient qu’ensemble ils décortiquent l’ensemble du dossier pénal afin de débusquer les faits qui, même s’ils ne concentrent pas les poursuites exercées par le parquet, pourraient amener l’Administration à étendre son droit de reprise initial.
Ce travail s’impose d’autant plus, et l’arrêt s’attarde également sur ce point, que le juge de l’impôt, pour valider l’exercice du droit de reprise spécial, doit vérifier que l’Administration ne disposait pas déjà des informations qu’elle indique avoir tirées du dossier pénal, ou à tout le moins pouvait les obtenir par ses propres moyens (CE, 3e et 8e ss-sect., 29 avr. 2009, n° 299949 : JurisData n° 2009-081473 ; Lebon, p. 173 ; Dr. fisc. 2009, n° 27, comm. 398, note J.-L. Pierre ; RJF 7/09, n° 669, chron. V. Daumas, p. 547).
Dès lors, c’est à une lecture croisée et comparative des deux procédures pénale et fiscale qu’il convient de procéder afin d’identifier les risques d’élargissement des poursuites fiscales, mais aussi de vérifier si les conditions de cet élargissement sont réunies.
En l’espèce, le Conseil d’État estime que les manœuvres et dissimulations dont le contribuable a été l’auteur n’avaient pas permis à l’Administration d’identifier les éléments nécessaires à la rectification, que seuls les pouvoirs plus étendus des autorités judiciaires avaient permis de déceler. Ledit contribuable était donc mal fondé à pouvoir prétendre que l’Administration aurait pu obtenir ces informations par ses propres moyens. Imparable.
3 – Selon Merle et Vitu « le juge fiscal est le juge de l’imposition fiscale, tandis que le juge pénal est le juge de la fraude fiscale » (R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, t. II : éd. Cujas, 1982, n° 653, p. 511).
La question du cumul des poursuites pénales et fiscales a donné lieu à une abondante jurisprudence européenne, constitutionnelle, judiciaire et administrative. L’on sait que depuis 2016, dans le cadre de l’application combinée des articles 1729 et 1741 du CGI, le montant cumulé des sanctions de même nature ne peut dépasser le quantum le plus élevé encouru (Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC, Alec W et a. : JurisData n° 2016-012236, et 2016-546 QPC, M. Jérôme C. : JurisData n° 2016-012237 ; Dr. fisc. 2016, n° 27, comm. 405, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, n° 26, act. 409, N. Jacquot et P. Mispelon ; Dr. fisc. 2016, n° 30-35, act. 466, obs. M. Pelletier ; Dr. fisc. 2016, n° 30-35, chron. 439, R. Salomon ; RJF 10/16, n° 862, étude B. Hatoux, p. 1077 ; JCP G 2016, 847, note M. Collet et P. Collin).
Comme le rappelle le rapporteur, à l’occasion de l’affaire de sa décision de février 2024 (CE, 5 févr. 2024, n° 472284 : Dr. fisc. 2023, n° 9, act. 70 ; Dr. fisc. 2024, n° 16, chron. 225, A. Rousseau et G. Pellegrin : Lebon ; RJF 4/24, n° 314), le Conseil d’État avait déjà eu l’opportunité de trancher sur l’application de ce principe désormais solidement établi, dans l’hypothèse spécifique et au demeurant assez fréquente dans laquelle le juge pénal a condamné le contribuable au titre d’un concours d’infractions.
On rappellera à cet égard que dans une telle situation, l’article 132-3 du Code pénal prévoit que la personne reconnue coupable de plusieurs infractions en concours encourt les peines prévues pour chacune d’elles, mais qu’il ne peut être prononcé à son encontre qu'une seule peine de même nature, dans la limite du maximum légal le plus élevé. Chaque peine prononcée est alors réputée commune aux infractions en concours dans la limite du maximum légal applicable à chacune d'entre elles.
En pratique, cette règle conduit donc le juge pénal à prononcer plusieurs déclarations de culpabilité, mais une seule peine de chaque nature (emprisonnement, amende…).
Dans une telle hypothèse, le Conseil d’État avait estimé – il s’agissait dans cette espèce de l’article 1728 du CGI mais la solution doit être transposée à l’article 1729 du CGI – que la réserve constitutionnelle sur le cumul des peines ne pouvait trouver à s’appliquer, dans la mesure où il n’était pas possible de déterminer quelle portion de l’amende pénale venait spécifiquement sanctionner la fraude fiscale.
En l’espèce, on apprend à la lecture de l’arrêt que l’amende pénale de 150 000 €, dont 100 000 € avec sursis,prononcée contre le contribuable sanctionnait des faits d’abus de biens sociaux, de travail dissimulé, de blanchiment de fraude fiscale et de blanchiment de travail dissimulé. Par conséquent, la fraude fiscale elle-même, sanctionnée par l’article 1741 du CGI, n’était pas poursuivie pénalement.
Pourtant, curieusement, la cour d’appel, ayant statué en matière pénale, avait retenu dans son arrêt de condamnation que le contribuable-prévenu avait « volontairement éludé une partie de son impôt sur le revenu », ce qui renvoyait davantage aux termes de l’article 1741 du CGI et donc à l’infraction de fraude fiscale (pourtant non-poursuivie en l’espèce), qu’à celle de son blanchiment réprimé par l’article 324-1 du Code pénal, qui incrimine le fait d'apporter son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect de la fraude fiscale.
Le Conseil d’État déduit du concours d’infractions retenus par le juge pénal que la réserve constitutionnelle ne trouve pas à s’appliquer, dès lors que la condamnation pénale n’est pas intervenue à raison des seuls faits pour lesquels les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à la charge du contribuable avaient été assorties d’une majoration de 80 % au titre de l’abus de droit, mais au titre d’un concours d’infractions.
Il nous semble à cet égard que la Haute Juridiction aurait tout aussi bien pu constater, tout simplement, que la réserve constitutionnelle ne pouvait trouver à s’appliquer dans un cas dans lequel la fraude fiscale n’avait pas été sanctionnée par le juge pénal, tenant ainsi compte du fait que les infractions de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale viennent sanctionner des comportements distincts et autonomes, comme le rappelle de manière constante la Cour de cassation, par exemple encore dans un arrêt du 13 décembre 2023 (Cass. crim., 13 déc. 2023, n° 22-81.985 : JurisData n° 2023-022328 : Dr. fisc. 2024, n° 16, chron. 225, spéc. 1).
Mais peut-être était-elle quelque peu gênée par le fait que, comme cela a été justement relevé par le rapporteur, la majoration de 80 % appliquée par l’administration fiscale venait sanctionner un acte de dissimulation, qui est l’essence même de l’infraction de blanchiment de fraude fiscale. On se trouvait ainsi dans une situation où le juge pénal se référait à des éléments constitutifs d’une fraude fiscale mais condamnait sous la qualification, notamment, de blanchiment de fraude fiscale, tandis que l’administration fiscale appliquait la majoration de 80 % au titre de dissimulations dans le cadre de l’application de l’article 1729 CGI. Ainsi, de part et d’autre, ce sont bien en partie les mêmes faits qui étaient poursuivis pénalement et fiscalement. Le Conseil d’État a alors pu considérer pouvoir faire application de sa jurisprudence de février 2024.
4 – L’affaire exposée prend racine dans la portée des obligations de l’administration fiscale quand elle entend utiliser des informations obtenues auprès des autorités judiciaires pour établir une imposition. Pour rappel, lesdites obligations, qui incombent à l’administration des impôts, sont établies quelle que soit la procédure d’imposition mise en œuvre.
Les dispositions de l’article L. 76 B du LPF impose à l’administration fiscale deux obligations cumulatives. D’une part, l’administration des impôts a l’obligation d’informer le contribuable de l’origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers et sur lesquels elle se fonde pour établir l’imposition. D’autre part, elle doit communiquer au vérifié, qui en fait la demande, une copie des documents contenant ces renseignements avant la mise en recouvrement.
Toutefois, la méconnaissance par l’administration des impôts de ces obligations peut demeurer sans conséquence sur la régularité de la procédure d’imposition s’il est établi que le vérifié, après avoir formulé cette demande avant la mise en recouvrement de ces impositions, a effectivement eu accès à ces mêmes documents.
Dans cette affaire, le Conseil d’État confirme que l’administration fiscale bénéficie d’une certaine tolérance en ce qui concerne son obligation d’informer le vérifié sur les pièces de la procédure pénale obtenues auprès de l’autorité judiciaire (A). Cet arrêt du Conseil d’État vient également renforcer et compléter son analyse sur la notion « d’accès direct aux documents » en incorporant désormais les pièces de la procédure pénal obtenues auprès de l’autorité judiciaire (B).
5 – Comme il a été évoqué, les dispositions de l’article L. 76 B du LPF imposent à l’administration fiscale de respecter cumulativement l’exigence d’information du contribuable et celle de la communication des pièces obtenues auprès des tiers. Ces deux obligations sont obligatoirement contrôlées par le juge de l’impôt et son appréciation souveraine diffère selon qu’il s’agit d’une obligation d’information ou d’une obligation de communication.
L’exigence d’informer nécessite que l’administration fiscale mentionne, avec une précision suffisante, les pièces de procédures pénales utilisées pour permettre au vérifié d’y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions réhaussées.
En pratique, l’administration fiscale cite avec précision, dans ses propositions de rectification, les pièces de la procédure pénale qu’elle a obtenues par l’exercice de son droit de communication prévu aux articles L. 81 à L. 102 AH du LPF auprès de l’autorité judiciaire et sur lesquelles elle s’est fondée pour établir l'imposition.
Cette rigueur repose davantage sur une volonté de répondre aux impératifs des dispositions de l’article de l’article L. 57 du LPF que de se conformer à la première branche des dispositions de l’article L. 76 B du LPF.
En outre, n’étant pas familier avec les pièces de procédure pénale, l’agent vérificateur aura tendance à mentionner avec précision le nom de la pièce tel qu’il peut la trouver dans le dossier de procédure pénale.
Par négligence, l’administration fiscale pourrait viser, de manière erronée, des pièces de procédures pénales voire même oublier d’en faire référence contrevenant ainsi au principe des droits de la défense du contribuable.
La conséquence d’un manquement à son obligation entrainait jusqu’à la décision Rouch une décharge des impositions irrégulièrement établies (CE, 8e et 3e ss-sect., 29 juin 2005, n° 256163 : JurisData n° 2005-080726 ; Dr. fisc. 2005, n° 40, comm. 659 ; RJF 10/05, n° 1067 ; Procédures 2006, comm. 21, note J.-L. Pierre). Désormais, l’irrégularité constituée par le seul défaut de mention de l’origine du renseignement devra être qualifiée de substantielle pour bénéficier d’une décharge de l’imposition.
De ce qui précède, la méconnaissance de l’obligation d’information visée par l’article L. 76 B du LPF ne soulève pas de difficulté majeure et ce, même si l’administration fiscale omet de mentionner l’origine du renseignement obtenu.
6 – À l’occasion de cette affaire, les 9e et 10e chambres du Conseil d’État se sont à nouveau penchées sur les contours des garanties offertes aux vérifiés sur le fondement des renseignements et des documents obtenus auprès des tiers et plus précisément sur la seconde branche de l’article L. 76 B du LPF en ce qu’elle prévoit pour l’administration fiscale une obligation de communiquer.
Il est rappelé que les dispositions de l’article L. 76 B du LPF permettent d’assurer le principe essentiel des droits de la défense du contribuable en lui permettant de vérifier l’authenticité des documents qui lui sont opposés par l’administration fiscale et d’en discuter la teneur ou la portée (CE, 3e et 8e ss-sect., 17 mars 2016, n° 381908, min. c/ Monsterleet : Lebon, p. 75 ; JurisData n° 2016-004890 ; Dr. fisc. 2016, n° 18-19, comm. 317, concl. V. Daumas ; RJF 6/16, n° 545, concl. V. Daumas) et ce, avant la mise en recouvrement des impositions (V. concl. É. Bokdam-Tognetti ss CE, 9e et 10e ch., 28 sept. 2018, n° 407352, SARL Marteling d’Eternes : JurisData n° 2018-016623 ; RJF 12/18, n° 1257, concl. É. Bokdam-Tognetti, p. 1649. – V. Procédures 2018, comm. 357, note L. Ayrault).
Aux fins d’assurer un juste équilibre (V. concl. E. Mignon ss CE, 8e et 3e ss-sect., 29 déc. 2000, n° 209523, Rouch : JurisData n° 2000-061438 ; Dr. fisc. 2002, n° 6, comm. 110, concl. ; Procédures 2001, comm. 141, note J.-L. Pierre ; RJF 3/01, n° 341) entre les intérêts de l’administration fiscale et la préservation des droits des contribuables, le juge administratif a cantonné le champ d’application de l’article L. 76 B du LPF en excluant de l’exigence de communiquer les informations publiques (CE, 9e et 10e ss-sect., 3 mai 2011, n° 318676, Arbogast : JurisData n° 2011-008000 ; Procédures 2011, comm. 249, note L. Ayrault ; RJF 7/11, n° 851 ; BDCF 7/11, n° 89, concl. P. Collin ; Dr. fisc. 2012, n° 9, chron. 165, P. Collin), les jugements rendus publiquement (CE, 10e et 9e ch., 28 juill. 2017, n° 392386, Rodriguez, concl. É. Crépey : JurisData n° 2017-014969 ; Dr. fisc. 2018, n° 10, comm. 215) et les informations qui peuvent être librement consultées sur un site internet (CE, 30 mai 2012, n° 345418, Sté Aficom : Dr. fisc. 2012, n° 23, comm. 437, note J.-L. Pierre).
La tolérance du juge de l’impôt sur la méconnaissance d’une obligation d’informer ne se retrouve pas dans l’exigence de communiquer, sauf cas particuliers (CE, 8e et 3e ss-sect., 6 oct. 2008, n° 299768, min. c/ Erbin : JurisData n° 2008-081385 ; Lebon T., p. 671 ; Dr. fisc. 2008, n° 46, comm. 576, concl. N. Escaut ; RJF 12/08, n° 1364 ; RJF 1/09, chron. p. 3. – CE, 9e et 10e ss-sect., 18 mars 2015, n° 370128, min. c/ SA Conditionnement : JurisData n° 2015-006169. – CE, 8e et 3e ss-sect., 27 mars 2015, n° 375409, min. c/ Sté Danora : Dr. fisc. 2015, n° 21, comm. 320, concl. F. Aladjidi ; RJF 6/15, n° 507. – CE, 10e et 9e ch., 22 févr. 2017, n° 398168, SNC Invest OM 103 : Dr. fisc. 2017, n° 20, comm. 311 ; RJF 5/17, n° 462, concl. É. Crépey). Un autre cas particulier peut relever du secret professionnel protégeant un document consulté (CE, 10e et 9e ss-sect., 30 déc. 2015, n° 374816, SARL Lovie Style :JurisData n° 2015-029388 ; Lebon T., p. 617 et 618 ; Dr. fisc. 2016, n° 12, comm. 244, concl. É. Crépey ; RJF 3/16, n° 264). Est sanctionnée d’une décharge de l’impôt, l’absence de communication d’une pièce obtenue auprès d’un tiers alors même que le vérifié a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d’entre eux (CE, 3e et 8e ss-sect., 31 juill. 2009, n° 297308, Sté financière François 1er : JurisData n° 2009-081523 ; Dr. fisc. 2009, n° 40, comm. 492, concl. E. Glaser, note J.-L. Pierre ; RJF 12/09, n° 1131 ; BGFE 6/10, p. 17 et s., obs. R. Beauvais. – CE, 3e ch., 21 nov. 2018, n° 410741 : RJF 4/19, n° 366, concl. V. Daumas).
Sans abandonner la solution consacrée dans l’affaire Société Financière François 1er, le Conseil d’État avait neutralisé cette obligation procédurale de communiquer en jugeant dans l’affaire de juin 2019 (CE, 10e et 9e ch., 27 juin 2019, n° 421373: JurisData n° 2019-011500 ; Lebon T. ; Dr. fisc. 2019, n° 38, comm. 375, concl. A. Iljic, note S. Detraz) que l’administration des impôts n’y était pas tenue dès lors qu’il s’agissait de documents ou renseignements « qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu’à l’administration ».
La « Meyerisation » (appellation utilisée par madame Céline Guibé, rapporteur public, en référence à l’arrêt du CE, sect. cont., déc., 16 avr. 2012, n° 320912, Meyer c/ min. Budget : Dr. fisc. 2012, n° 27, comm. 366)déguisée de la décision de 2019 frappe désormais la seconde branche de l’article L. 76 B du LPF en ce qu’elle exige pour obtenir la décharge de l’imposition, de vérifier si l’absence de communication a privé le vérifié d’accéder, par lui-même, aux documents en cause.
C’est ainsi que le contrôle de l’accessibilité aux documents est devenu l’une des préoccupations majeures du juge de l’impôt dès lors que l’administration fiscale a failli à son obligation de communiquer et que le vérifié pouvait accéder directement et effectivement aux documents concernés (CE, 10e ch., 24 déc. 2020, n° 433456).
Amené à se prononcer sur l’accessibilité aux pièces d’une procédure pénale, le Conseil d’État a étendu la portée de la jurisprudence de juin 2019, qui s’apparente en réalité plus à une règle générale qu’à une modeste exception, en jugeant que le vérifié, eu égard à sa qualité de prévenu renvoyé pour être jugé devant le tribunal correctionnel dans une ancienne affaire, a eu automatiquement un accès direct à ses propres pièces pénales qu’il réclame désormais dans le cadre d’un litige avec l’administration fiscale.
Il est rappelé qu’en matière pénale, l’accessibilité aux pièces est garantie par les dispositions de l’article 388-4 du Code de procédure pénale. Par voie de conséquence, le vérifié ne pourrait soutenir sérieusement qu’il n’a pas eu connaissance et accès à ses propres pièces de son dossier pénal (CAA Nancy, 2e ch., 10 nov. 2022, n° 20NC02804 : JurisData n° 2022-020883) ou encore invoquer que l’accès aux pièces de son dossier pénal s’est fait de manière indirecte par l’intermédiaire du greffe du tribunal.
Cette décision du Conseil d’État amène à nous interroger sur l’existence d’un juste équilibre entre les droits de la défense du contribuable et les intérêts de l’administration fiscale, d’autant plus lorsque l’on sait que les pièces judiciaires représentent une partie non négligeable des documents réclamés par l’administration fiscale dans le cadre de son droit de communication.
En vidant progressivement sa substance, les contraintes prévues à l’article L. 76 B du LPF se sont, au fil des affaires, sensiblement allégées voire ont disparu quand le litige porte sur des pièces de procédure pénale.
L’étanchéité des procédures répressives et administratives est manifestement un lointain souvenir. La coopération entre les autorités et les services, ainsi que les échanges d’informations sont devenus des normes procédurales aux fins de lutter activement contre la fraude et l’évasion fiscale. Cette décision du Conseil d’État démontre, une nouvelle fois, que la défense fiscale nécessite une approche globale.
Le Cabinet MEJ d’avocats et ses partenaires pénalistes, experts en droit pénal fiscal pourront vous défendre dans les procédures pénales et fiscales.